"Un barbu est un barbu. Trois barbus, c'est des barbouzes." Michel Audiard.
Je n'ai jamais aimé les barbus... Peut-être s'agit-il d'un traumatisme lié à ma petite enfance ? Peut-être devrais-je entamer une psychanalyse ? Peut-être n'est-il pas trop tard ? A propos, Freud n'était-il pas barbu ? Tout comme ceux qui me traumatisent et dont la seule vue me hérisse, les Ivan Rebroff, Fidel Castro, Corbier, Moustaki et autres Père Noël... Sans parler d'un certain nombre de syndicalistes (sont souvent barbus et repoussants, ces gens-là !). Je pourrais aussi ajouter à cette pénible liste le chanteur d'un groupe aujourd'hui bien oublié, Tin Machine, je crois (comment s'appelait-il déjà, ce barbu-là ?). Autrefois, je me méfiais même du sympathique Carlos, c'est dire...
J'ai pourtant toujours eu un faible pour la musique de ZZ Top, groupe célèbre justement pour la barbe à la longueur démesurée de deux de ses membres, le vénérable guitariste Billy Gibbons et le poussiéreux et bien-nommé bassiste Dusty Hill. Comme chacun le sait, seul le batteur a, il y a bien longtemps, rasé sa barbe... et arbore depuis une fort vilaine moustache. Cet homme a pourtant l'insigne culot de se nommer Frank Beard, c'est-à-dire Frank Barbe ! Allez donc y comprendre quelque chose...
Après une décennie passée à jouer une sorte de blues rock très seventies fort prisé par les bikers, le trio texan surprit considérablement son monde en accouchant de cet inattendu Eliminator en 1983.
Nos trois amis avaient soudainement décidé d'actualiser leur musique et le synthé, instrument maudit, fit une apparition remarquée.
Les puristes hurlèrent évidemment à la trahison et au scandale. Mais les cris d'orfraie de certains vieux fans ne dissuadèrent pas une nouvelle génération ravie de s'intéresser à ce disque, qui devint non seulement l'une des plus grosses ventes de l'année 83, mais de l'industrie musicale tout court, avec plus de dix millions d'unités écoulées ( Eliminator a été certifié disque de diamant en 1996 ).
Comment expliquer un tel succès ? Tout d'abord parce que le groupe sut jouer intelligemment la carte du video clip et de MTV, alors en plein boum, exploitant habilement son image pour le moins... hum... particulière et parvenant même, à force de second degré et d'autodérision, à devenir hip et à plaire simultanément aux gamins et aux intellos branchés. Et cela, rappelons-le, en 1983, année durant laquelle un look à la Duran Duran ou à la Spandau Ballet était, semble-t-il, de rigueur pour affoler le public.
La formule sur laquelle reposaient la plupart des clips du Top était simple. Le groupe apparaissait quasi-systématiquement comme une sorte de moderne deus ex machina - la machina en question étant un superbe hot rod, à l'origine une Ford de 1933, qui devint d'ailleurs la véritable vedette de ces petits films - venant en aide à de sympathiques jeunes gens n'ayant pas eu la chance de naître avec une cuiller en argent dans la bouche...
On pourrait d'ailleurs aller plus loin et affirmer qu'en 1983, à l'instar des tribulations dépeintes dans ses vidéos, le Top fut aussi le sauveur du rock. Il ne faudrait quand même pas oublier que cette année fut celle du triomphe de Michael Jackson, pas encore le King of Pop mais alors le roi du funk, ainsi que de David Bowie période Let's Dance, les autres grands vainqueurs de 83 étant des gens comme Culture Club ou Kajagoogoo. N'oublions pas non plus l'immense succès de Police et de son Synchronicity.
Dans un tel contexte, le fan de rock énervé et frustré en était réduit à serrer les dents, ayant très peu de choses à se mettre dans les écoutilles. Certains en étaient même réduits à attendre impatiemment le prochain Stones et ceux-là se suicidèrent lors de la sortie d'Undercover. Et ne parlons pas du public d'AC/DC traumatisé par Flop Of The Switch...
ZZ Top bénéficia ainsi d'une situation généralisée de pénurie et eut quasiment le monopole du rock de grande consommation. Cela eût été malheureux si l'on avait eu affaire à des escrocs patentés mais tel n'était pas le cas, contrairement à ce que leur allure de trafiquants de whisky frelaté aurait pu laisser supposer. Car Eliminator demeure incontestablement l'un des meilleurs disques de l'année, mais aussi de la décennie et même, osons, de l'histoire du rock, tout simplement...
Disque majeur, Eliminator trône au panthéon de la musique populaire. Festival de riffs magiques, juteux, évidents et accrocheurs en diable, avalanche de solos torturés redoutablement inspirés et pourtant à mille lieues de la pyrotechnie vanhalenienne alors de rigueur, il s'agit d'un vrai disque de rock au son sale et artisanal, n'ayant rien à voir avec un quelconque hard FM aseptisé.
Quant aux synthés, ils ne gênent pas. Pour tout dire, c'est à peine si l'on remarque leur présence tant ils font corps avec l'ensemble. En fait, ils permettent juste à l'auditeur de réaliser qu'il n'écoute pas un vieux groupe des années 70 mais un combo éminemment contemporain et vindicatif en diable.
Car le Top est salement énervé et Eliminator a sacrément la gnaque.
D'ailleurs, réécouté en 2000 et quelques, le disque ne sonne pas daté comme la plupart de ses petits copains des années 80. Il est intemporel, point barre. Comme Sticky Fingers, comme L.A. Woman. Rien à voir avec un album de Wham !...
Donc ça sonne bien, rudement bien même. Ça sonne même mieux qu'avant. Et j'eusse apprécié que cela sonnât aussi bien après... ce qui ne fut hélas pas le cas.
Qu'il s'agisse de l'hymne Gimme All Your Lovin', du puissant Got Me Under Pressure, du remuant Sharp Dressed Man, des six minutes d'émotion du blues Need You Tonight, du salace I Got The Six - gimme your nine - , de l'irrésistible Legs, du saccadé Thug, de l'entraînant TV Dinners, du très enlevé Dirty Dog, du chantant If I Could Only Flag Her Down ou du méchant Bad Girl, tout ici est rudement bon. Fameux, même. Et sacrément relevé.
A l'image de sa célèbre bagnole, voici un "vieux" groupe au look peu avenant ( deux barbus, quand même ! ) qui s'en revient bousculer les charts avec un gros son intemporel et surgonflé.
Le Top au top... Le top du Top... Et vous voudriez décliner une telle invitation ?